Qui êtes-vous ?

Jerusalem, Israel
Journaliste indépendante, je suis installée à Jérusalem depuis septembre 2009, après avoir vécu à Kaboul (Afghanistan)de janvier 2007 à décembre 2008. Lors de ces deux années, j'ai couvert pour plusieurs media, l'actualité afghane. Presse écrite, radio ou encore télé, j'ai multiplié les collaborations en radio et presse écrite. Correspondante de RFI, RTL, Radio Vatican, France Info, France Inter, France Culture et I télé, Le Parisien, L'Equipe Magazine, Le Figaro, Figaro Magazine, CB News, La Nouvelle République. Rentrée pour quelques mois en France, j'ai effectué quelques CDD chez RFI avant de repartir m'installer à l'étranger.

08/07/2007

Moi, Mohammed Rafiq, 15 ans, suicide bomber

Mohammed Rafiq a 15 ans. Pakistanais du Nord Waziristan, lieu de repli de nombreux combattants taliban, il a été arrêté dans la province afghane de Khost il y a 3 semaines, peu avant de se faire exploser à proximité du gouverneur de cette même province. Retour sur le parcours de cet apprenti suicide bomber...


L’air hagard et perdu, il regarde ses mains pataudes, tout en lançant de temps à autres de petits sourires timides. Mohammed, 15 ans, est emprisonné à Khost depuis quelques jours. Il y a moins d’un mois, cet adolescent, enfant dans un corps d’adulte, était arrêté par la police afghane quelques heures avant de remplir son devoir : se faire sauter à côté du gouverneur de Khost (province Est afghane, frontalière avec le Pakistan).

Vêtu d’une shalwar kameez, habit traditionnel pakistanais, il est assis sur un fauteuil dont il ne bougera pas. Le directeur de la toute neuve prison de Khost dans laquelle ne sont hébergés que des prisonniers politiques, accorde cette interview exclusive dans son bureau et en sa présence. Mohammed ne lève pas les yeux vers les deux femmes occidentales qui l’entourent mais cherche du regard le soutien du directeur de la prison. On dirait un enfant honteux qui vient de commettre une bêtise. Il est mal à l’aise, il transpire.

Le processus qui l’a conduit jusqu’à cette prison est d’une simplicité effrayante. Originaire du Nord Waziristan, une des zones tribales pakistanaises frontalières avec l’Afghanistan où grouille la majorité des combattants islamistes de la région, Mohammed grandit dans une famille pachtoune assez aisée avec ses cinq frères et ses deux sœurs. « J’ai d’abord été à l’école publique, comme tous les garçons de mon village ». Son père est instituteur à Makin, village proche de Miram shah, capitale du nord Waziristan.

L’idée de devenir un suicide bomber n’avait jamais effleuré l’esprit du jeune Mohammed. D’ailleurs, il ne l’a pas eue seul. La visite dans son école d’un mollah venu chercher de nouvelles recrues déclenche en lui l’envie de gagner son Paradis. Le mollah propose aux enfants de venir étudier dans sa madrasa, école coranique. « Dieu vous aimera » leur explique-t-il. « Ma famille n’était pas d’accord pour que j’aille étudier dans une madrasa. J’y ai été contre la volonté de mon père, car je croyais plus que tout au Paradis » raconte Mohammed. Il ajoute aussi que certains de ses camarades de classe, motivés, l’ont poussé à s’y rendre. Mais après un passage rapide dans cette école religieuse, Mohammed est envoyé dans un centre de formation au suicide. Il y restera 3 mois. Là-bas, comme lui, une quinzaine de jeunes garçons suivent ces cours de « kamikaze ». On leur apprend à porter un gilet d’explosifs, à le manipuler, à définir le moment propice pour se faire exploser. En parallèle, le mollah Hamidullah, chef du centre, scande à longueur de journées ce refrain: « Vous gagnez votre Paradis ». « Ils nous ont tout expliqué. Ils nous ont dit et répété que les personnes que nous allions tuer n'étaient pas des musulmans, mais des infidèles. Et que si nous nous faisions exploser, nous irions directement au Paradis » Le Paradis…l’adolescent était fasciné. « Le soir avec mes camarades, nous nous demandions à quoi cela pouvait ressembler. Nous ne parlions que de ça…le Paradis. »
3 mois plus tard, l’heure est venue pour le suicide bomber d’accomplir son devoir. « Avant de quitter le centre, on me rappelle, comme chaque jour d’ailleurs, le bonheur du Paradis ». Il traverse à pied la frontière afghano-pakistanaise que la tribu pachtoune, à cheval sur les deux pays ne reconnait pas. Il marche 7 heures pour se rendre de son village du Waziristan à la ville afghane de Khost. Il ne rencontre aucune difficulté pour franchir la ligne virtuelle qui sépare le Pakistan de l’Afghanistan. « J’ai traversé la frontière sans problème. A pied, j’ai gravi les montagnes. Un ami taliban m’a accompagné sur le chemin » En effet, les pachtounes afghans ne reconnaissent pas cette frontière et laissent passer tous les locaux. Quand Mohammed arrive à Khost, il retrouve son « ami » qui lui fournit son gilet d’explosifs et lui indique l’identité de celui qui doit mourir. Sa mission expliquée, il sait que le lendemain, il doit assassiner le gouverneur de Khost, Arasala Jamal. Il recevra un appel téléphonique au moment où Jamal sortira de son bureau. Il devra alors se faire exploser à côté de lui. « Je ne connaissais pas le gouverneur de Khost auparavant. Mais on m’avait expliqué dans le centre que c’était un mauvais homme, qu’il travaillait avec les étrangers, que ce n’était pas un bon musulman et qu’il vivait comme les Américains. Tu dois le tuer, me répétait-on »
Mais Mohammed et son acolyte n’auront pas le temps de réaliser leur plan. A 10 heures du matin, la police afghane débarque dans la maison où ils se trouvent pour tous deux les arrêter.
« Je n’ai jamais eu peur, pas une seule seconde puisque je ne savais absolument pas à quoi ressemblait une explosion Je n’en ai jamais vue. On ne nous en a pas fait de démonstration dans le centre »

Rappelant quelque peu la scène de Jean-Paul II rencontrant son assassin, le gouverneur de Khost est allé en prison rendre visite au jeune Mohammed. Il s’est fait photographier avec lui et expose ces clichés avec une certaine fierté. « Le gouverneur est un homme extraordinaire. Il est venu me rencontrer ici. Je ne souhaite plus sa mort » a ensuite déclaré Mohammed.
Dans cette maison d’arrêt de Khost, le jeune suicide bomber est extrêmement bien traité. Le directeur de la prison lui offre sourires sur sourires. « Il n’est pas blâmable car il est jeune et simple victime de la politique pakistanaise » explique fièrement le chef de ces lieux. En effet, la capture de Mohammed est une victoire pour les autorités afghanes. Un homme lui apporte des pastèques et du thé. On lui demande sans cesse s’il va bien. Ici, il est exposé comme un trophée. Il est devenu la coqueluche de Khost, lui, l’innocent manipulé par l’ennemi pakistanais.
La prison dans laquelle Mohammed est incarcéré est ultra-moderne et rutilante. Au total, 12 prisonniers politiques sont installés dans ce centre de détention financé par les Américains. Parmi eux, cinq suicide bombers, les autres sont des taliban.

Comme tous les autres prisonniers, Mohammed ne reste que deux semaines ici, le temps que les autorités afghanes lancent des recherches sur lui. Il sera ensuite transféré à Kaboul en attendant son jugement.

A propos de son avenir, Mohammed lance naïvement en fixant le directeur de la prison de Khost : « Je voudrais commencer une vie normale. Maintenant je ne veux plus tuer. J’ai compris…compris que c’était une mauvaise action ».