Qui êtes-vous ?

Jerusalem, Israel
Journaliste indépendante, je suis installée à Jérusalem depuis septembre 2009, après avoir vécu à Kaboul (Afghanistan)de janvier 2007 à décembre 2008. Lors de ces deux années, j'ai couvert pour plusieurs media, l'actualité afghane. Presse écrite, radio ou encore télé, j'ai multiplié les collaborations en radio et presse écrite. Correspondante de RFI, RTL, Radio Vatican, France Info, France Inter, France Culture et I télé, Le Parisien, L'Equipe Magazine, Le Figaro, Figaro Magazine, CB News, La Nouvelle République. Rentrée pour quelques mois en France, j'ai effectué quelques CDD chez RFI avant de repartir m'installer à l'étranger.

03/09/2009

PARIS-KABOUL: UN REFUGIE, UNE FAMILLE

Square Villemin, au cœur de Paris. Dans ce quartier branché à deux pas du Canal Saint Martin, des centaines de jeunes réfugiés afghans traînent sans trop savoir où aller. Entre les jeunes mamans qui promènent leurs bébés en poussette et les vieillards assis sur un banc en train de refaire le monde, les Afghans sont là, sur la pelouse. Ils viennent des quatre coins de l’Afghanistan, d’ethnies et de niveaux sociaux différents, ils sont tous jeunes, entre 8 et 25 ans et rêvent d’un avenir meilleur. Quand ils sont nés, leur pays était en guerre. En 2001, à la chute du régime taliban, un frémissement d’espoir effleure la population afghane mais il disparaît assez vite pour laisser place à la désillusion. Et depuis, rien ne va. Qu’ils soient diplômés ou non, les jeunes ne trouvent pas de travail. La sécurité se dégrade de jour en jour. La guerre en Afghanistan mobilise 100 000 soldats de l’OTAN qui se battent quotidiennement contre les insurgés Taliban, des combats qui ont déjà fait 1016 victimes civiles entre janvier et juin 2009. Alors ces jeunes garçons (il n’y aucune femme) ont décidé de quitter l’Afghanistan. Avec ou sans l’assentiment de leurs parents. Et leurs motivations sont aussi variées que tragiques.
Parmi eux, nous rencontrons Fahrad. Air poupin, à peu près18 ans. Peut-être moins. Les Afghans connaissent rarement leur date de naissance. Habillé d’un jean et d’un sweat bleu, il sourit sans cesse, comme si rien ne pouvait le toucher. Fahrad a quitté Kaboul il y a deux ans. Son père l’a d’abord accompagné au Pakistan pour qu’il y rencontre le passeur qui se chargera du voyage. Ensuite c’est l’Iran, la Turquie, l’Italie et la Grèce qu’il traverse à pied ou parfois sous un camion. Après un an bloqué en Grèce, il réussit enfin à rejoindre Paris. Son voyage a duré 18 mois. De cette période, il en parle difficilement. « C’était long, c’était dur, c’était violent » dit-il seulement. En Grèce, les clandestins afghans racontent tous que les policiers sont brutaux. « A Paris, les policiers, ils sont tellement gentils ! Jamais ils ne nous frappent » explique-t-il. Pour réaliser ce long périple, il a fallu réunir des fonds : les passeurs, les rares moyens de locomotion, la nourriture, les faux papiers, tout cela a un prix. En moyenne, les Afghans paient autour de 10 000 euros. Une somme réunie par toute la famille.
Depuis qu’il est à Paris, Fahrad attend ses papiers. Il laisse le temps passer. Il aimerait un jour avoir sa carte de réfugié politique. Parfois il joue au foot sur le petit terrain du square. Ou aux cartes quand il en trouve. La nuit, il dort dans le parc. Cet hiver, une ONG lui a donné un sac de couchage. Le matin, avec ses amis, ils vont à la tchaikhana, « maison de thé » en dari, la langue afghane. En fait, c’est une association, la Camrès, qui a ouvert ce centre et propose aux réfugiés des petits-déjeuners. L’après-midi, il attend. Il traine près de la gare de l’Est. Dès son arrivée, Fahrad a fait une demande d’asile, c’était il y un an. Et aujourd’hui, il commence à avoir peur qu’on le renvoie en Afghanistan. « Quand je suis arrivé à Paris, j’ai trouvé cette ville magnifique, moderne ! J’étais confiant. Mais aujourd’hui j’ai un peu perdu espoir. Je pensais que le gouvernement français m’aiderait. Et un an plus tard je n’ai ni maison, ni travail. »Sur son quotidien, Fahrad n’a pas grand-chose à raconter : « Le matin je me réveille, je me lave le visage, je vais manger à côté, je dors dans le parc et voilà ». Des ONG s’occupent de leur trouver des papiers et d’établir pour eux des demandes auprès de l’OFPRA, l’organisme gouvernemental qui donne l’asile. Il n’y aucun autre moyen pour ces réfugiés d’être régularisés. Cette institution délivre soit le statut de réfugié en accord avec la Convention de Genève, soit celui de protection subsidiaire s’appliquant à des personnes qui sont exposées dans leur pays à de graves menaces. « Les réfugiés afghans devraient tous bénéficier de la protection subsidiaire compte tenu de l’insécurité en Afghanistan. On ne peut pas actuellement renvoyer des jeunes dans un pays comme ça. C’est un préalable de considérer que les Afghans sont a priori réfugiés, dans le sens juridique du terme » explique Dominique, ancien chef de projet chez France Terre d’Asile, une association qui s’occupe des réfugiés. L’Afghanistan il est vrai est un pays en guerre. Et quelques 2800 soldats français y sont déployés dans le cadre de la mission de l’OTAN. « Comme l’armée française dit qu’elle est venue dans notre pays pour nous aider, je pensais qu’en arrivant en France on ne me laisserait pas tomber » se désole Fahrad. Au square, ils ont tous des raisons différentes qui les ont motivés à parcourir tous ces kilomètres pour quitter leur pays. Beaucoup sont directement touchés par le conflit. Certains sont menacés par les Taliban parce qu’ils ne veulent pas coopérer, d’autres ont vu leurs villages détruits par les bombardements aériens de l’OTAN. « Je viens de Spir Kundaï, j’étais là quand les français se sont fait attaqués par les Taliban. Vous savez, ils ont perdu 10 hommes. C’était dans mon village. La zone a ensuite été bombardée par les avions de l’OTAN. Ma famille n’a plus de maison » nous raconte Zabiullah. Mais il n’y a pas que ça. On oublie souvent qu’une des premières causes de mort violente en Afghanistan vient des inimitiés. Différents entre voisins pour un puits ou un morceau de terrain, problèmes ethniques, puissance et impunité des seigneurs de guerre, on n’hésite pas à sortir la kalachnikov ou emprisonner un tel pour un oui ou pour un non. Enfin, l’Afghanistan est, selon les Nations Unies, le 5e pays le plus pauvre au monde. Alors les familles envoient l’un de leurs fils en Europe pensant qu’il y gagnera beaucoup d’argent. Un mythe entretenu par les clandestins sur place qui ne disent pas la vérité à leurs familles. C’est le cas de Fahrad. « Oui, je dis à mes parents que tout va très bien. Je leur mens, je ne dis pas que je dors dans le parc sinon ils vont penser que je me suis mal débrouillé » avoue Fahrad.
Kaboul, Afghanistan. Le taxi traverse la capitale afghane à toute vitesse. En cette veille d’élection, la ville est tendue et personne ne sort. Des checkpoints (points de contrôle) de la police sont installés aux principaux carrefours et des chars de l’armée afghane sont sur le qui-vive. On attend une attaque des Taliban. Mais dès que l’on arrive en périphérie, l’atmosphère se détend. Cheilsitoun est un quartier pauvre et populaire situé à une trentaine de minutes du centre ville. Plus que dans une capitale, c’est dans un village qu’on se croirait. Les rues ne sont pas goudronnées, des ânes se baladent transportant des cargaisons de paille et tout le monde se salue. C’est ici que vit la famille de Fahrad.
Abdul Qader, le fils aîné, nous a donné rendez-vous devant la petite échoppe du quartier. Il parle anglais, il a étudié à l’université de Kaboul. Nous marchons quelques mètres pour rejoindre la porte d’entrée, en métal vert. Dans la petite cour, Nader Khan, le père, nous attend. Il nous salue, la main sur le cœur et sert la main à notre traducteur. Sa belle barbe noire contraste avec son petit chapeau blanc. Il porte un shalwar kamiz bleu ciel, c’est l’habit traditionnel afghan. Plus loin, de petites têtes s’agitent et une femme nous observe furtivement derrière son long voile noir. Elle, c’est Zarmina, la maman. Ses deux petites filles s’accrochent timidement à sa longue tunique. C’est sans doute la première fois que des étrangers s’invitent chez eux.
Nous sommes reçus dans l’unique pièce qui leur sert de maison. C’est ici que Zarmina, Nader Khan, leurs sept enfants et la grand-mère, vivent au quotidien. Ils mangent et dorment tous dans la même salle. Par terre, un grand tapis recouvre le sol. Et sur les côtés, les tochaks, sorte de coussins longs servent à s’assoir le jour et dormir la nuit. Une petite télévision trône, c’est l’unique objet de cette pièce. Le petit dernier de la famille, Beitullah, vient déposer trois assiettes de pastèque découpée. Deux pour les invitées et l’une pour la grand-mère. Bibi, c’est ainsi qu’on appelle les vieilles femmes en Afghanistan. Sa peau est mate et ridée. Elle est moins voilée que les autres femmes, elle peut se le permettre vu son âge avancé. Toute la famille est là. Ils nous regardent, nous observent, nous sourient discrètement. Ils savent tous que nous avons rencontré Fahrad à Paris et que nous rapportons sa photo, mais personne ne s’impatiente. Ils n’ont pourtant pas revu Fahrad depuis deux ans.
Zarmina saute sur la photo qu’on lui tend. Quand elle ouvre la pochette, les larmes lui montent aux yeux. Elle pleure et elle embrasse à plusieurs reprises le visage de son jeune fils. Pendant toute la durée de notre visite, elle ne quittera pas ce portrait des yeux. « Je pense tous les jours à Fahrad, il me manque. Parfois j’ai l’impression de devenir folle tellement j’y pense » dit-elle avec des trémolos dans la voix. Soudain, Zarmina croit apercevoir sur le front de son fils une balafre. « Regardez, c’est une blessure qu’il a. Je suis sure qu’il a été battu » s’inquiète-t-elle. « Très souvent, je rêve qu’il est avec moi, qu’on boit un thé, qu’il joue. En plus c’était mon fils préféré. Il était tellement poli et gentil » dit-elle devant toute la famille. Il parait que le tout petit frère le cherche partout. Le père tente quant à lui de cacher son émotion, en vain. « Au moins, la France est un pays développé et les gens sont gentils là bas, non ? » interroge Nader Khan. Il essaie de justifier sa décision. « Mon fils est loin, mais il devait partir. Je n’étais pas en mesure de lui trouver du travail. Nous n’avions pas d’autre choix. Vous savez, si ça allait bien, je n’aurai pas envoyé mon fils là-bas ». Fahrad appelle sa famille environ une fois par mois. « Quand il téléphone, après je vais mieux » ajoute-t-elle. En général, il n’a que son grand frère Abdul Qader ou son père au téléphone. Ce sont les chefs de famille.
La vie quotidienne de la famille de Fahrad ressemble à celle de beaucoup d’autres. Nader Khan, le père, est maçon à la journée. Le matin il part de chez lui très tôt, vers 5h pour se rendre au rond-point de la ville où tous les travailleurs en « interim » attendent qu’on vienne les chercher. Il ne sait jamais la veille pour le lendemain s’il aura du travail. A part lui, seul le fils cadet rapporte un peu d’argent. Il est ouvrier dans une usine de brique. Les filles restent à la maison, et les autres garçons sont encore des enfants. Le loyer de leur pièce est de 2000 afghanis par mois ce qui équivaut à une trentaine d’euros. La famille n’a pas assez d’argent pour se nourrir et se vêtir correctement. « Notre vie est dure. Hier par exemple, le petit était malade. Je n’avais même pas d’argent pour payer un médecin, 100 afghanis (1,50 euros) » déplore la mère. Pour la cuisine, la famille Nader Khan a une toute petite pièce accolée à la principale. Il n’y a qu’un réchaud sur lequel Zardina cuit les quelques légumes pour le déjeuner. Au centre de la petite cour, quelques plants de maïs ont poussé, et ils ont la chance d’avoir un puits.
Sur les raisons de son départ, la famille de Fahrad ne cherche pas à cacher la vérité. Ici, personne n’a honte de dire qu’il est pauvre. Et en Afghanistan, tous les moyens sont bons quand il s’agit d’aider la famille. « On a décidé que ce serait Fahrad qui devait partir parce qu’il n’avait pas de travail en Afghanistan. Moi je rapporte un peu d’argent de temps en temps » explique Abdul Qader, le fils aîné âgé de 22 ans. Après des études en école d’instituteur, ce dernier est au chômage, comme beaucoup de jeunes en Afghanistan. « Il n’y a pas d’avenir ici. Si j’avais de l’argent, je partirai aussi à l’étranger ». Ce désir d’exil, c’est celui de toute une frange de la jeunesse afghane, qu’elle soit riche ou pauvre.
Pour le voyage de Fahrad, son frère Abdul Qader qui à l’époque travaillait dans une ONG a réussit à réunir environ 5 000 dollars. L’oncle paternel a complété. Chacun a emprunté à droite et à gauche et on a même vendu une voiture. « On pensait que très vite mon frère trouverait du travail en France, mais j’ai l’impression qu’il n’a toujours rien et qu’il est vraiment dans une mauvaise situation. Mais on ne veut pas qu’il rentre avant qu’il ait sa citoyenneté française. On a dépensé trop d’argent pour lui. On aurait des problèmes s’il rentrait les mains vides » raconte Abdul Qader qui pense qu’aujourd'hui son frère est malheureux.
De Kaboul, nous apprenons que les Afghans du square Villemin ont été évacués. Une décision municipale leur interdit désormais de dormir à l’intérieur du parc. Nous avions promis à la famille de Fahrad de lui faire passer un message à Paris et de s’assurer que tout va bien pour lui. Où est-il parti ? Dans un centre d’hébergement ? Dans un autre quartier ? Il a récemment dit à sa famille qu’il habitait en banlieue parisienne. Nous avons un message pour lui. « Salam Aleikoum Fahrad de la part de toute la famille. Tu nous manques. Et nous sommes fiers de toi »

22/08/2009

Elections afghanes... vous avez dit succès?

Le dépouillement à peine terminé et déjà les deux favoris, Hamid Karzai et Abdullah Abdullah s’autoproclament vainqueurs des élections présidentielles. Des annonces plus que surprenantes alors que la Commission Indépendante Electorale afghane a prévu de rendre les résultats définitifs du premier tour le 3 septembre prochain.


Qui a tort ? Qui a raison. En théorie, Karzai et Abdullah seraient au coude à coude. Une égalité engendrée par le très faible taux de participation. De source diplomatique anonyme on apprend qu’il s’étale entre 25 et 35% sur tout l’Afghanistan. Le sud pachtoun, pro-Karzai a difficilement pu se rendre aux urnes à cause des combats et de l’insécurité alors que le nord tadjik favorable au Docteur Abdullah a massivement voté (avec un taux entre 60 et 70% de participation). Dans la capitale afghane, c’est moitié-moitié, et à l’ouest, les observateurs pensent que Karzai est majoritaire.
Mais c’est sans compter les fraudes qui, malgré ce que dit la communauté internationale, ont été massives. « Le problème n’est même pas de savoir qui a gagné, le problème ce sont les fraudes » explique Homayun Assefy, vice-président du docteur Abdullah. Tous les candidats s’accusent mutuellement d’avoir truqué les élections. Les moyens sont divers : achats de vote, remplissage des urnes avec de faux bulletins, complicité des membres de la Commission Indépendante Electorale afghane (dont les membres ont été nommés par Hamid Karzai), urnes rapportées chez des particuliers, doubles votes, etc. Le bureau du Docteur Abdullah a déjà déposé une centaines de requêtes à la Commission des Plaintes.
Reste à savoir quel rôle va jouer ici la communauté internationale. Déjà le soir même des élections, l’OTAN et les Nations Unies se félicitaient du bon déroulé du processus électoral. Les Taliban ont pourtant attaqué en de nombreux districts, les Afghans ne se sont pas déplacés pour voter et les fraudes étaient bien là. Mais la communauté internationale ne peut scier la branche sur laquelle elle est assise : dire que les élections sont un échec reviendrait à décrédibiliser sa présence en Afghanistan. Après 8 ans dans ce pays et 230 millions de dollars dépensés pour ces élections, le bilan doit être positif.
Quel qu’il soit, le perdant utilisera l’argument des fraudes pour contester le résultat et le gagnant manquera de légitimité auprès du peuple afghan. « On ne veut pas déclencher un mouvement populaire qui serait incontrôlé et incontrôlable. Ici, les gens sont armés et c’est dangereux. Si l’on encourage les émeutes on ne pourra les arrêter » analyse Homayun Assefy.
Constance de Bonnaventure

21/08/2009

Les Afghans aux urnes

7h du matin, la ville de Kaboul, habituellement réveillée à cette heure-ci donne l’impression qu’elle dort encore. A l’heure où les bureaux de vote doivent ouvrir leurs portes, l’atmosphère est étrangement calme. Les rues sont vides, toutes les boutiques sont fermées, il n’y a pas un taxi, seules quelques voitures qui se font arrêter et sont scrupuleusement fouillées par la police afghane. Les chars de l’armée sont prêts à bondir et des hélicoptères tournent dans le ciel. Cet arsenal de sécurité déployé pour l’occasion contraste avec l’aspect fantôme de la ville en ce matin des élections. Visiblement les Afghans ont préféré rester chez eux. Les menaces des insurgés Taliban ont été prises au sérieux. « C’est à cause de la sécurité s’il n’y a personne. Les gens ont un peu peur. Ils ne préfèrent pas venir dans les centres de vote aujourd’hui» explique Massoud qui gère un petit bureau de vote dans une mosquée. Ici, sur 400 inscrits, seuls 48 sont venus voter…
Zargunah School, école de fille, est l’un des plus gros centres de vote de la capitale afghane. Située dans un quartier résidentiel à quelques pas du centre ville de Kaboul, ce bureau de vote a prévu de recevoir près de 10 000 personnes selon la Commission Indépendante Electorale afghane. Pourtant, deux heures après l’ouverture, il n’y a qu’une petite queue d’une quarantaine de personnes. Et à la mi-journée, on ne compte qu’un millier de votants. Les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Munis de sa carte électorale, Ahmad, s’avance pour tremper son doigt dans l’encre indélébile qui permet d’éviter les doubles votes. On lui remet deux bulletins : l’un pour les présidentielles où il devra choisir parmi 31 candidats, l’autre pour les provinciales. Pour ceux qui ne savent pas lire, les photos des candidats sont accolées à leurs noms. Ahmad part ensuite se cacher derrière son isoloir en carton. Sa carte électorale est poinçonnée pour prouver qu’il a voté. Tous les moyens sont réunis pour éviter les fraudes, très probables. C’est ainsi que dans ces centres de votes, les organisateurs et observateurs sont parfois plus nombreux que les votants. Parmi eux, Philippe Larrieu, conseiller à l’ambassade de France, et observateur de l’Union Européenne. Il a à sa charge huit bureaux de vote qu’il doit visiter pour noter les éventuels dysfonctionnements. « On a vu par exemple que les perforeuses servant à poinçonner les cartes pour prouver le vote ne fonctionnaient pas. Alors les afghans font des trous avec leurs ciseaux…Un votant souhaitait reprendre son bulletin dans l’urne car il s’était trompé.. Mais nous on ne peut rien dire, on observe, c’est tout. »
Dans le reste du pays, des attaques sporadiques ont été recensées malgré l’ordre du gouvernement Karzai aux media de ne pas relayer les violences. Dans les provinces du sud, ce sont des dizaines de bureaux de vote qui n’ont pas pu ouvrir. A Kapissa, province où sont basés les soldats français, des combats ont empêché les citoyens de se rendre aux urnes.
Le président sortant Hamid Karzai reste optimiste et qualifie cette journée de « succès ». « Le peuple afghan a défié les roquettes, les bombes et les intimidations pour venir voter. Nous verrons quelle sera la participation mais ils sont venus voter c’est formidable ».
Outre la sécurité, le manque de confiance en la politique a favorisé cette forte abstention. « Ca n’avait pas de sens pour moi d’aller voter. Je n’ai confiance dans aucun des candidats. Je n’y crois pas » explique Atiq, jeune directeur d’une boite de communication afghane. Dans son entreprise, des 40 employés, aucun n’est allé voter jeudi.
Constance de Bonnaventure

20/08/2009

De la fraude, encore de la fraude....

A voté ! Ce matin, comme des millions d’autres afghans, Ahmed choisit son prochain président. Fier, il s’avance vers les urnes pour déposer son bulletin de vote. « Aujourd’hui est un grand jour pour la nation afghane. Parce que les élections ont lieu et ça renforce la démocratie » 7h du matin, c’est l’heure où les 6000 bureaux de vote ouvrent leur porte en Afghanistan. L’école de fille Zarghuna est l’un des plus gros centres électoraux de la capitale. Ici on attend 10 000 personnes, mais pour le moment, les allers et venues sont plutôt calmes dans ce centre de vote. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, on trempe le doigt dans l’encre, on prend le bulletin, et on se cache derrière l’isoloir en carton. Et déjà les premiers dysfonctionnements apparaissent. Un jeune organisateur remarque que l’encre utilisée pour marquer les votants n’est pas de très bonne qualité. « Ca va pas ça. Ca devrait être mieux. Parce que quand on frotte elle part. Elle devrait être indélébile et elle s’efface. »
En ce jour d’élection, deux inquiétudes majeures hantent les esprits: les fraudes et l’insécurité. D’autant plus que les Taliban ont promis qu’ils s’attaqueraient aux bureaux de vote. Pour l’occasion, 4000 policiers supplémentaires sont arrivés à Kaboul et des checkpoints, des postes de contrôle ont été installés aux principaux carrefours de la capitale. Et des chars de l’armée afghane sont sur le qui-vive. Ce matin, personne dans les rues, la tension est à son comble, Kaboul est une ville fantôme.
L’école de Massoud Sad est située dans un quartier résidentiel, loin des attentats. Elle abrite un petit centre de vote. Et en ce milieu d’après-midi, il n’y a personne qui vote. « C’est bien, mais pas super. Peu de gens ont participé » déplore le responsable de ce centre. Ici sur 600 inscrits seuls 48 se sont rendus aux urnes. Visiblement les Afghans se désintéressent de la politique. Alors comme dans beaucoup de bureaux de vote, il y a plus d’organisateurs que d’électeurs.Bérangère Travard travaille au service culturel de l’ambassade de France. Mais aujourd’hui elle fait partie des 117 observateurs de l’Union Européenne. Son rôle : rendre compte du processus électoral. 8 centres de vote à visiter et des questions à poser. « Est-ce qu’il y de l’intimidation ? Est-ce plutôt ordonné ou pas ordonné ? Qui sont les personnes présentes ? Est ce que tout le matériel est présent ? Est-ce qu’ils vérifient que les doigts n’ont pas d’encre ou de l’encre ? Est-ce qu’ils mettent l’encre sur les doigts ? »La Communauté internationale met tout œuvre pour limiter les fraudes et crédibiliser ces élections. D’après les observateurs, rien pour le moment ne permet de remettre en question la légitimité du scrutin. Philippe Larrieu est également observateur européen. « A partir du moment où on se rend compte qu’il n’y a pas d’irrégularités flagrantes, ce qui est le cas, on peut considérer que s’agissant du processus de vote, du processus électoral, la mission est accomplie »
Le dépouillement à peine terminé, Hamid Karzai et Abdullah Abdullah, les deux favoris, s’auto proclament vainqueurs. De quoi alimenter les rumeurs de fraude et nourrir fortement la colère de la population afghane.

Elections afghanes: J-1

A 7 heures du matin, les portes des bureaux de vote s’ouvrent en Afghanistan. Pour la seconde fois dans leur histoire, les Afghans se rendent aux urnes. Une journée placée sous le signe de la pression et de la tension. Pression de la part de la communauté internationale qui voudrait faire de cet événement un succès. Tension parce que les insurgés Taliban ont promis qu’ils s’attaqueraient aux bureaux de vote et demandé aux Afghans de ne pas s’y rendre. Pour éviter la panique et favoriser la participation, le gouvernement a demandé aux journalistes locaux et étrangers de ne pas relayer les violences qui auront lieu dans le pays en cette journée cruciale. Sous peine, pour les media afghans de voir leurs bureaux fermés, et pour les étrangers, d’être expulsés d’Afghanistan.
Mais dans les régions du sud, frappées par les combats entre taliban et soldats de l’OTAN, et dont certains districts sont sous contrôle des insurgés, il sera impossible pour les citoyens d’aller voter.
Dans le centre ville de la capitale, c’est plutôt le calme qui régnait la veille du scrutin. D’autant plus que les Afghans fêtaient hier la fête de l’indépendance et pour l’occasion le jour était fériée. Seules les voitures des policiers et de l’armée afghane circulaient sur les axes principaux, les habitants ont préféré éviter le centre ville. Mais en ce jour de vote, les 100 000 militaires étrangers de l’OTAN et les 175 000 policiers et soldats afghans sont sur le qui-vive.
Selon la commission électorale indépendante, 17 millions d’Afghans sont inscrits sur les listes électorales, dont 40% de femmes. Les divers candidats avaient jusqu’à lundi soir pour faire campagne. Le dernier sondage, réalisé par l’International Républicain Institute donnait le président sortant, Hamid Karzai comme favori avec 44% des intentions de vote, suivi du Docteur Abdullah Abdullah (26%), ancien ministre des Affaires étrangères. Viennent ensuite Ramzan Bachardost (10%) dont le programme est basé sur la lutte contre la corruption, puis l’ancien ministre des Finances Ashraf Ghani (6%). Impossible de dire pour le moment s’il y aura un second tour. Les résultats définitifs sont prévus pour le 3 septembre prochain.
Constance de Bonnaventure

19/08/2009

Elections afghanes: désillusions et frustrations de la population afghane

Zarmina et Nader Khan vivent avec leurs sept enfants dans un quartier pauvre de Kaboul. Pour se loger, ils n’ont qu’une pièce au loyer de 2000 afghanis (30 euros) par mois. Nader Khan, le père, est maçon. Son fils cadet est employé dans une usine de briques et Abdul Qader, l’aîné, ne trouve pas d’emploi alors qu’il est diplômé de l’école d’instituteur. « Toute la jeune génération souffre du chômage. Nous n’avons plus aucun espoir. Dès que j’ai de l’argent je quitte l’Afghanistan » affirme Abdul Qader. Une pensée qui traverse l’esprit d’une grande partie de la jeunesse afghane. Ils sont de plus en plus nombreux à partir à l’étranger comme clandestin, en Europe, en Inde ou encore en Iran.
Le quotidien de cette famille ressemble à celui de la majorité des Afghans, à part quelques chanceux qui ont pu trouver du travail dans les organisations internationales où les rares entreprises afghanes. A Kaboul, ville pourtant arrosée par l’aide internationale, les habitants n’ont toujours pas l’eau courante ni l’électricité 24h/24. Un quotidien difficile qui nourrit les frustrations des Afghans. « En 2001 quand les Taliban ont été chassés, nous avions beaucoup d’espoir ! La situation était plutôt bonne jusqu’en 2005. Et puis, tout s’est dégradé : l’économie et la sécurité. Notre gouvernement est malade, malade de la corruption. » déplore Nader Khan qui, malgré ses désillusions votera pour Hamid Karzai.
Corrompu, proche des trafiquants de drogue et des seigneurs de guerre, marionnette des Américains, voilà les critiques que l’on entend le plus souvent à son égard. « Je déteste Karzai, parce qu’il a été inefficace, qu’il se fait de l’argent avec le trafic de drogue. Mais je ne sais pas pour qui voter. Je ne connais pas les autres candidats. Au moins Hamid Karzai a de l’expérience » explique Hamidullah, qui tient une échoppe dans le village de Deh Sabz, au sud-est de Kaboul. D’autres continuent de voir en lui celui qui a apporté la paix en 2002 et les quelques changements qui se sont opérés dans la vie quotidienne. « Grâce à lui nous avons pu retourner à l’école, il nous a apporté la stabilité et notre vie a beaucoup changé depuis qu’il est au pouvoir » explique Shakira, étudiante de 18 ans.
Qu’ils soient pour ou contre Hamid Karzai, beaucoup d’Afghans voteront pour lui. La toute nouvelle démocratie a du mal à s’imposer et les Afghans préfèrent se référer aux choix de leurs leaders locaux : chef de village, figure ethnique ou encore seigneur de guerre, ils influenceront les votes des citoyens afghans.

18/08/2009

Elections afghanes: fin de campagne

Malgré les efforts de déstabilisation menés par les Taliban, la campagne électorale se poursuit, presque que comme si de rien n’était. Les Taliban ont pourtant revendiqué l’attentat qui a fait 7 morts samedi en face du quartier général de l’OTAN. Et pour la première fois, ils ont menacé hier de s’attaquer aux bureaux de vote. Une menace formulée par l’intermédiaire d’affichettes accrochées aux murs des villages du sud afghan. « Voilà qui informe les honorables résidents qu’ils ne devraient pas participer aux élections s’ils ne souhaitent pas être victimes de nos opérations. Car nous allons utiliser de nouvelles tactiques » pouvait-on lire. Une manière de prévenir la population. Dans ces conditions, le gouvernement aura certainement du mal à contrôler l’ensemble du pays le jour du vote, notamment les provinces du sud déjà sous très forte influence talibane.
Pour autant, rien n’arrête la motivation des deux principaux concurrent du président Karzai, Abdullah Abdullah et Ashraf Ghani. Aujourd’hui encore, Ashraf Ghani se rendait à Jalalabad, ville de l’est du pays, après avoir parcouru tout le sud du pays samedi. Quant au Docteur Abdullah, ancien conseiller de Massoud, il est prévu qu’il fasse son dernier meeting au stade de Kaboul. Le président afghan Hamid Karzai se fait lui, beaucoup plus discret, il parait même assez absent de la campagne bien que l’on aperçoive son portrait un peu partout dans la capitale. Il a préféré laisser cette tâche à ses colistiers, tous des anciens « seigneurs de guerre », espérant ainsi drainer plus de soutien. A la grande surprise générale, il a refusé de participer au premier débat télévisé, laissant sa chaise vide entre Abdullah Abdullah et Ashraf Ghani. Mais il a finalement accepté hier soir, de participer au second débat, un moment attendu avec impatience par les téléspectateurs.
Chacun des candidats aborde de manière récurrente les thèmes qui touchent de près les Afghans. La corruption, l’insécurité croissante et la lutte contre la pauvreté en sont les principaux. Ajoutons à cela la polémique des victimes civiles dues aux bombardements aériens de l’OTAN, un sujet devenu très sensible chez les Afghans. « Si je suis élu, je ferai en sorte que les Afghans ne tuent pas d’autres Afghans, que les Afghans ne soient pas tués par des étrangers. Si Dieu le veut, nous mettrons un terme à l’anarchie et à la corruption » déclarait le Docteur Abdullah lors d’une visite dans la province de Paktia au sud-est du pays.
Dans la capitale, des portraits des divers candidats et colistiers ont été accrochés partout et des bureaux de campagne ont été ouverts dans de nombreux quartiers pour promouvoir les programmes de chacun. Les candidats ont jusqu’à ce soir minuit pour clore leur campagne avant un silence médiatique obligatoire de 48h.


Les deux principaux rivaux d’Hamid Karzai
Ashraf Ghani Ahmadzai, économiste, appartient à la tribu majoritaire pachtoune. Avec ses parents, il quitte très vite l’Afghanistan et poursuit des études au Liban puis aux Etats-Unis où il obtient la nationalité américaine. Il rejoint la Banque Mondiale après une carrière de professeur en Europe et aux Etats-Unis. Ancien ministre des Finances sous Hamid Karzai (jusqu’en 2004), il sera aussi un de ses conseillers spéciaux.
Abdullah Abdullah, médecin, est moitié pachtoun, moitié tadjik (ethnie de Massoud). Très proche du commandant Massoud pendant la guerre contre les Soviétiques, il occupera en 1997 la fonction de ministre des Affaires étrangères, poste qu’il gardera sous la présidence d’Hamid Karzai (jusqu’en 2005).

17/08/2009

Les Afghans et l'armée française...désillusion

Un an après l’embuscade qui a couté la vie à dix soldats français, la situation sur place ne s’est pas améliorée, ni pour la population afghane, ni pour le contingent français.
Des véhicules militaires français filent à toute vitesse sur la nouvelle route goudronnée. Rangés en colonne, ils se rendent à Deh Sabz, banlieue pauvre de Kaboul à environ cinq kilomètres du centre de la capitale, une des zones dont ils ont la charge. Anxieux, ils font de grands signes aux voitures qui les suivent de trop près, avant de viser au Famas les quelques effrontés qui oseraient trop s’approcher. Comme tous les jours, ils partent en patrouille. Les quelques commerçants installés au bord de la route, comme Hamidullah, ne les regardent même plus passer. Ils ont l’habitude. « Ils sont là tous les jours. Mais nous ça ne nous dérange pas. Ca fait plusieurs années que c’est comme ça ». A quelques kilomètres de là, un petit village reculé reçoit quant à lui la visite quotidienne de patrouilles à pied. Les soldats descendent de leurs véhicules blindés et marchent dans les villages, armés, casqués et vêtus de gilets pare-balles. L’objectif est non seulement de faire acte de présence mais aussi de rencontrer le chef du village, lui demander ce dont ses villageois ont besoin, en échange de quoi ce dernier leur donne des informations sur la sécurité. Mohammed Nazer vit ici. Il creuse des rigoles qui serviront à l’irrigation de son champ. « Regardez, les Français nous ont construit une clinique là-bas. Alors oui, on les aime bien » dit-il en riant. « Nous on ne fait pas la différence entre les Français, les Américains et les autres. Ce sont tous les mêmes. Je pense qu’ils sont venus nous apporter la paix mais aussi chercher du pétrole. Tant qu’ils ne nous font pas de mal, nous on ne s’en plaint pas ». La situation est totalement différente dans la province de Kapisa où sont déployés environ 700 soldats français du 3e RIMA (Régiment d’Infanterie de Marine). Ici, les combats entre insurgés taliban et militaires ont lieu tous les deux jours. Les populations sont les premières victimes des bombardements aériens et sont prises en étau entre les insurgés taliban et les forces françaises. Enayatullah Kouchi est membre du conseil provincial. Il est assez pessimiste sur l’avenir de sa province. « Les gens ici souffrent beaucoup de la situation, des bombardements, des patrouilles militaires récurrentes, de l’insécurité. Ils se sentent oubliés par le gouvernement. Alors ils tournent le dos aux forces étrangères et certains rejoignent le rang des insurgés ».
Un an après l’embuscade meurtrière du 18 août, le contingent français en Afghanistan, fort de 2900 hommes, poursuit sa mission d’assistance à la sécurité et de formation de l’armée nationale afghane. Mais son regard sur la situation a changé, l’Afghanistan est désormais considéré comme un terrain de guerre. En se déployant dans la province de Kapisa, la France est devenue une cible privilégiée pour les insurgés afghans. C’était la première fois que les soldats français faisaient face à une bataille de cette ampleur. Depuis son engagement en Afghanistan en 2002, la France a déjà perdu 29 soldats.
Constance de Bonnaventure

15/08/2009

Elections afghanes: Kaboul placée sous haute sécurité

Kaboul ressemble de plus en plus à un véritable bunker. Au fil des jours, à mesure que la sécurité se dégrade, la ville se transforme. Dans le quartier de l’ambassade américaine ou encore celui du Ministère de l’Intérieur, les bâtiments sont entourés de blocs de béton hauts de cinq mètres et protégés par des gardes armés. Les maisons des étrangers sont encerclées de fils barbelés et ces derniers se déplacent rarement sans leurs voitures blindés.
En cette période électorale, tous les moyens sont réunis pour sécuriser la ville au maximum. En apparence du moins. On ne peut y faire 100 mètres sans croiser un convoi militaire de l’OTAN ou un checkpoint de la police afghane. Il faut dire que les menaces d’attentat sont constantes. Hier, des roquettes ont touché le palais présidentiel et un attentat qui visait un convoi de l’OTAN a fait sept morts. Alors les forces de sécurité afghanes redoublent de vigilance en cette période clé. Pour l’occasion, des chars de l’armée afghane ont été positionnés sur les grands carrefours de la capitale et des policiers assureront la sécurité au sein des 700 bureaux de vote dans Kaboul ce jeudi. Le commandant Zalmai, policier, est en charge du rond-point de Wazir Akbar Khan, un quartier surprotégé puisqu’on y trouve des maisons d’expatriés, des ambassades ou encore des sièges d’organisations internationales. « La situation est normale, c’est comme d’habitude. Seulement, nous faisons beaucoup plus attention car nous savons que quelque chose peut arriver. Nous devons être opérationnels. En ce moment on arrête beaucoup de véhicules, on les fouille et on saisit les armes. C’est notre boulot, ça ne nous fait pas peur ». En cas de panique, la police afghane sait qu’elle peut compter sur les forces étrangères de l’OTAN. « Nous n’avons qu’à les appeler et ils arrivent au plus vite » poursuit le commandant Zalmai.
Du côté des expatriés, rien n’est pris à la légère. Et c’est presque toute la communauté étrangère qui s’envolait de Kaboul ce mercredi. Aucune hypothèse n’est épargnée et les organisations internationales ne préfèrent pas prendre de risque. Hervé Nicolle, français, travaille à Kaboul au sein d’un programme de développement des ministères afghans pour un organisme américain. « Chez nous, les mesures de sécurité sont prises au jour le jour, en fonction des événements. Pour les élections, nous sommes priés soit de quitter le pays, soit d’être enfermés dans un domicile ultra-sécurisé sans en sortir, du 18 au 24 août ». Une décision qui choque beaucoup d’Afghans, comme Nazir, chauffeur de taxi. « Regardez, aujourd’hui il n’y a plus personne dans les rues de Kaboul ! C’est fou ! C’est parce que tous les étrangers sont partis ! Pourtant ils sont censés être là pour nous aider ! » dit-il en riant.

03/11/2008

Elections américaines: les réactions du président Karzai

« Nous rentrons dans une ère nouvelle où la race, la couleur et l’origine ethnique, je l’espère, vont disparaitre de la politique dans le reste du monde » a félicité le président afghan Hamid Karzai, faisant allusion aux nombreux problèmes ethniques en Afghanistan.
Mais très rapidement après ces compliments, Hamid Karzai a exprimé sa préoccupation principale qui est aussi celle des Afghans. « Notre première et plus importante demande, notre priorité, c’est de mettre fin aux frappes aériennes visant les civils en Afghanistan. Ce n’est pas avec les bombardements qu’on gagnera la guerre contre le terrorisme » a exprimé avec virulence le président afghan. Car le jour des résultats, un bombardement des forces étrangères a accidentellement touché un mariage dans le sud du pays, près de Kandahar, faisant plusieurs victimes. L’armée américaine a confirmé cet « incident ».
Barack Obama a promis de renforcer la présence militaire en Afghanistan qui s’élève aujourd’hui à 33 000 soldats et de s’atteler au problème de la frontière avec le Pakistan où se cacheraient les combattants d’Al Qaeda.
Le problème des victimes civiles est une véritable polémique en Afghanistan. Et si les Américains ne diminuent pas leurs bavures, le président Hamid Karzai pourrait, comme il l’a menacé, renégocier la présence des forces étrangères dans son pays.
Constance de Bonnaventure

25/10/2008

Palwasha Kakar, vice ministre des affaires féminines, portrait d'une lutte quotidienne

En plein centre-ville de Kaboul, on passe un barrage surveillé par la police, direction la fouille, avant de pouvoir pénétrer au sein du Ministère afghan des Affaires Féminines. C’est ici que Palwasha Kakar, 40 ans, vice-ministre des Affaires Féminines, occupe à elle seule un grand bureau. Comme la plupart des bâtiments publics de Kaboul, ce ministère est une cible potentielle pour les attentats. La haute sécurité est donc de rigueur.
Ses trois téléphone portables sonnent en permanence, sa secrétaire lui annonce plusieurs rendez- vous. Active et déterminée, elle l’est. Avant d’arriver à ce poste, Palwasha Kakar a multiplié les expériences de terrain : pendant près de 20 ans, elle a combattu les injustices envers les femmes. « Les Afghans me connaissent, non pas pour ce que je suis aujourd’hui, mais pour mes actions passées. Avant j’étais tout le temps avec les gens, même pendant la guerre » raconte-t-elle.
Palwasha Kakar fait partie du gouvernement afghan d’Hamid Karzai. Un poste officiel qu’elle juge contraignant, elle qui fut une activiste pendant des années. Pourtant, elle est un des rares exemples parmi les femmes afghanes, à avoir su et pu contourner presque tous les obstacles à sa réussite. Retour sur un parcours bourré d’embûches et sur une lutte interminable…
Aujourd’hui Palwasha Kakar est littéralement désabusée. Elle n’a plus la foi d’antan. « Moi je suis une activiste, donc aujourd’hui je suis malheureuse dans ce bureau. Je suis en prison, je ne peux même pas sortir de la maison ! ». Pourtant, elle explique qu’elle n’a pas le choix. C’est entre autre par mesure de sécurité qu’on lui a proposé ce poste. Depuis quelques temps elle est devenue l’objet de menaces récurrentes, non seulement de la part des Taliban mais aussi d’anciens chefs de guerre qui contestent son pouvoir. « J’ai reçu plusieurs menaces de mort m’accusant d’aimer les Etats-Unis. Je suis nerveuse maintenant, j’ai peur de tout, c’est trop dangereux. C’est aussi pour ça que je suis revenue à Kaboul. C’est plus sur de travailler au ministère ». Comme beaucoup d’autres femmes afghanes, Palwasha risque sa vie, simplement en travaillant. En septembre dernier, Malalai Kakar, la policière la plus connue d’Afghanistan a été assassinée à la porte de son domicile. Assassinat revendiqué par les Taliban, mais dont les circonstances sont encore troubles. D’autres femmes comme des journalistes célèbres ont été tuées en 2008. Malgré l’instauration d’une république en Afghanistan, Palwasha Kakar se plaint de la très faible liberté d’expression : « je n’ai pas le droit d’ouvrir ma bouche. Je ne sais même pas qui me supporte. Avec la position que j’ai, je ne peux pas parler honnêtement ».
Pour Palwasha Kakar, le pays est en guerre et toute une partie de la population est oubliée de l’aide internationale. Elle déplore que le Ministère des Affaires féminines ne travaille qu’à Kaboul et que beaucoup d’officiels ne connaissent pas la province. « Les ONG ne vont pas dans les endroits où ça va mal. Elles restent seulement à Kaboul, là où il y a la sécurité ! Actuellement, personne ne travaille dans le sud, là où pourtant on aurait besoin de nous. Mais notre ministère n’a aucun budget et aucune idée… Les femmes afghanes savent que ce ministère existe mais elles se demandent à quoi ça sert ! Ce ministère est simplement politique »…c’est un tableau noir de la situation que dresse Palwasha Kakar.
Dans cette période de reconstruction amorcée en 2001 par l’afflux de l’aide internationale, le droit des femmes est loin d’être une priorité. Pourtant, on a voulu les intégrer aux programmes de reconstruction. Par exemple en politique : le Parlement comprend 25% de femmes ; Hamid Karzai a nommé à Bamyan une femme gouverneur et de nombreuses femmes sont policier. En matière d’éducation également où le gouvernement a multiplié la construction d’écoles pour filles et appuyer la formation de professeurs féminins. Beaucoup de problèmes subsistent : les femmes ne sont pas encore suffisamment formées pour endosser des rôles à responsabilité. Il faudra encore des années pour qu’elles prennent leur place. Et comme le souligne Palwasha Kakar, il faut avant tout que les mentalités changent. « On ne peut imposer une libéralisation des mœurs ! Les femmes ne vont pas dans les restaurants, ne choisissent pas leurs maris, ne travaillent pas. On est loin de l’égalité des sexes ! ».

Palwasha a grandi à Jalalabad, grande ville à l’est de l’Afghanistan, proche de la frontière avec le Pakistan. Elle évolue dans une famille aisée proche du roi Zaher Shah, de l’ethnie pachtoune, bercée dans un univers empreint de modernité et de culture. Fille ainée d’une fratrie de huit sœurs, elle passe beaucoup de temps avec sa grand-mère, poétesse et femme libérale qui sera pour elle un modèle.
En 1979, au moment de l’invasion soviétique, la famille de Palwasha souffre du régime communiste. Le père est arrêté puis emprisonné. De déménagement en déménagement, la vie douce et paisible de Jalalalabd était bien révolue. A 18 ans, au lieu de se marier comme la majorité des jeunes filles de son âge, Palwasha privilégie sa carrière et entre comme stagiaire dans la grande station radio de Kaboul. Une fois par jour, elle présente le journal de l’économie et devient petit à petit une animatrice connue et réputée. Mais son refus de joindre le Parti Communiste lui coutera très cher : si Palwasha ne prend pas sa carte du parti, elle ne sera pas engagée. C’est ici que prend fin sa carrière de journaliste. Palwasha reprend alors ses études à l’université de Kaboul en 1984. Diplômée de la faculté de Sciences Sociales, Palwasha devient professeur. Elle s’intéresse particulièrement aux cas de jeunes filles qui, mariées, ne peuvent plus suivre les cours.
L’heure est venue pour elle de se marier. Kabir Kakar demande sa main à son père. Un choix qu’elle ne regrettera jamais. Son mari a toujours soutenu ses ambitions professionnelles. Aujourd’hui, Palwasha Kakar est mère de 4 garçons. « Mon mari me soutient. Il accepte beaucoup de choses pour moi. Il prend des risques. »
En 1992, l’Afghanistan est en proie à une guerre civile sanglante. Palwasha quitte Kaboul pour Jalalabad où pendant près de deux ans, elle travaille comme professeur principale dans un collège. Elle trouve ensuite un poste à l’UNICEF qui l’amène à se promener de villages en villages. C’est à ce moment-là qu’elle découvre les conditions de vie des femmes en zones rurales: pas d’éducation, beaucoup d’enfants et pas grand-chose pour les nourrir. Elle commence alors à organiser des réunions de femmes avec l’accord des mollahs.
Lorsque les Taliban arrivent au pouvoir en 1996, Palwasha espère qu’ils apporteront la sécurité. Mais pendant quelques mois, elle est obligée de rester chez elle et doit cesser ses activités professionnelles. « Sous les taliban, on n’a pas pu travailler pendant 6 mois » témoigne Palwasha. Sitôt qu’elle sortait de chez elle, toute femme devait porter la burka et être accompagnée par un membre de sa famille. Complètement isolée, interdite de travail, Palwasha commence à désespérer. Son mari la tient au courant de la situation des femmes sous le régime taliban. Quelques mois plus tard, après des négociations avec les Taliban, l’UNICEF la rappelle. Palwasha est alors chargée des programmes de vaccinations des enfants. Elle en profite aussi pour reprendre discrètement les discussions avec les femmes des villages et monte des écoles clandestines. « Sous les moudjahidines, les principaux problèmes étaient l’insécurité et la corruption. Sous les taliban, c’était le port de la burka et les femmes qui ne peuvent pas travailler » analyse Palwasha.
Mutée à Hérât en 1998, après un bref passage au Pakistan, Palwasha s’occupe des femmes qui s’immolent par le feu. En 2001, après la chute du régime taliban, Palwasha est pleine d’espoir. La Commission Afghane Indépendante des Droits de l’Homme, institution mise en place après les accords de Bonn et chargée de promouvoir les droits de l’homme la recrute. Elle y passe trois ans comme responsable des droits de la femme, puis devient en 2006 la responsable régionale de cette institution. Ses domaines : les enfants, la justice ou encore les droits de l’homme. « Je comprends bien la situation car je parle beaucoup de dialectes et je me suis promenée dans beaucoup de districts » précise-t-elle.
Pour bon nombre d’Afghans, l’espoir de 2001 né de la chute du régime taliban s’est évaporé pour faire place à un découragement général. Sept ans après la chute des taliban, l’insécurité est palpable et les conditions de vie ne sont pas améliorées, selon les Afghans. « Les femmes ne se sentent pas en sécurité, même dans Kaboul. Regardez, pas une seule ne marche seule dans les rues après 17h. La sécurité était meilleure sous les taliban » déplore Palwasha qui poursuit « aujourd’hui la situation des droits de la femme est meilleure, du moins à Kaboul... Mais les femmes sont loin d’être indépendantes. Elles ne reçoivent quasiment aucune éducation. Et elles souffrent toujours des mariages forcés ou encore de violences conjugales».
Aujourd’hui, Palwasha voudrait quitter l’Afghanistan. Mais pour aller où se demande-t-elle ? « Je voudrai parcourir le monde entier pour que chacun sache ce qu’il se passe ici ! ». Son rêve… changer les esprits des hommes sur les femmes, mais aussi les mentalités des femmes afin qu’elles prennent elles-mêmes leur destin en main.

Les paras français abandonnent un poste de tir missile après une embuscade

L'embuscade s'est déroulée dans la vallée d'Alasai, province de Kapisa à l'est de Kaboul où des soldats français sont déployés depuis cet été. Ils étaient 300 parachutistes français du 8e RPIMA à effectuer une patrouille de reconnaissance quand il se sont fait attaqués par une centaine d’insurgés taliban samedi 25 octobre. Les combats, très violents, ont duré plus de deux heures et les insurgés étaient très bien organisés selon le lieutenant colonel Louisfert, porte parole de l’armée française à Kaboul. Pas de victimes côté français mais les parachutistes ont du abondonner un poste de tir et deux missiles anti char, une arme capable de détruire des véhicules militaires blindés. Abondon qui peut être problématique si les insurgés réussissent à se servir de telles armes. Mais selon l'armée française, l'utilisation de ces postes de tir nécessite une formation spécifique.

En plein combat, voyant qu'ils ne pouvaient récupérer ces missiles, les soldats français ont alors tenté de les détruire, d'abord avec des tirs de mortier. Mais ils étaient trop près d'habitations de civils afghans et n'ont pu demander un soutien aérien par peur des dommages collatéraux. Les soldats français ont alors quitté les lieux du combat. Selon l’armée française, 14 insurgés ont été tués lors de ces affrontements.

Ce n’est que 5 jours après cet événement que l’armée française apporte des détails sur le déroulé de cette embuscade. Lors des affrontements du 18 août qui avait couté la vie à 10 soldats français, les informations étaient parvenues plus rapidement mais de manière moins précise. Rappelons que les soldats français qui ont été pris dans l’embuscade de samedi, appartiennent au même régiment que ceux qui ont perdu la vie le 18 août dernier lors de violents affrontements à l’est de Kaboul.

16/10/2008

Premiers pas vers les élections présidentielles...



Les hauts parleurs accrochés à la voiture tapissée de posters d’information retentissent dans le bazar de Charikar, ville de la Chamalie au nord de Kaboul : « Venez chercher vos cartes d’électeurs. Vous avez un mois pour vous enregistrer ! ». Au total, 4 bureaux ont été installés pour l’occasion dans des bâtiments publics de la ville: écoles, cliniques ou encore mosquées.

Au lycée Sadeqi, deux bureaux ont été ouverts : un pour les femmes, l’autre pour les garçons. Des policiers surveillent les entrées principales. Ce matin, on se bouscule pour récupérer sa nouvelle carte. Outre les nombreux jeunes qui ont atteint la majorité, ce sont aussi les réfugiés qui reviennent d’Iran ou du Pakistan qui ont besoin de s’enregistrer. Dans ce pays où 60% de la population a moins de 25 ans, les jeunes représentent une grande partie de l’électorat.

Wajia, bientôt 18 ans, uniforme noir et petit voile blanc, attend son tour pour se procurer sa première carte. « Je suis ici parce que je veux choisir le président du futur de notre pays. Je veux que l’Afghanistan se redresse. Notre président va surement construire des routes et des choses comme ça pour améliorer notre quotidien. » Wajia sait déjà qu’elle ne revotera pas pour Hamid Karzai. L’enthousiasme de ces jeunes est très vite balayé par les amertumes des électeurs de 2004. Il faut dire que la population afghane n’a pas vu son niveau de vie s’améliorer autant qu’elle pouvait l’espérer en 2001. Rien qu’à Kaboul, la capitale, les habitants n’ont qu’environ 2 heures d’électricité par jour et très peu d’eau courante.

Direction le petit village de Roja Sarayan à quelques minutes de Charikar. « Je préfère encore voter Georges Bush qu’Hamid Karzai ! » dit à moitié en riant le malek, autrement dit le chef du village. Ici, les habitants veulent du concret, comme Adul Qadir qui déclare : « je voterais pour celui qui fait le paquet de farine à 5000 afghanis (80 euros) ».

A peine arrivé dans le village, Qasim Ahmad, chargé de la campagne d’information sur l’enregistrement des électeurs, emprunte le micro de la mosquée pour passer son annonce aux villageois. Des posters sont collés un peu partout. Qasim Ahmad n’a pas une mission facile : il doit aller de village en village pour expliquer aux habitants l’intérêt de la carte d’électeurs. Une mission délicate qui lui impose de bien évaluer la politique des zones dans lesquelles il se rend. « Bien évidemment, on précise aux gens que ça n’engage à rien, et qu’ensuite ils pourront voter pour celui qu’ils veulent. On leur explique que s’ils ne votent pas ils ne pourront pas se plaindre après… On essaie de venir au bon moment dans les villages parce que les gens sont occupés. Par exemple, on va venir pendant la prière à la mosquée ou alors à la fin de l’école quand les gens sortent dans les rues» explique-t-il.
Mais l’équipe de Qasim est confrontée à un sérieux problème : beaucoup d’Afghans n’ont plus foi en les entités gouvernementales. « Le gouvernement n’a rien fait pour eux ! Rien ! Par exemple ces routes, elles n’ont jamais été refaites comme promis ! Du coup ces Afghans n’ont plus confiance, ils ne veulent pas voter » poursuit Qasim Ahmad.
Pourtant, à Charikar, on est bien loin des combats et de l’insécurité qui reste l’obstacle majeure au bon déroulé de cet enregistrement. Rappelons qu’une grande partie du pays vit dans la guerre et que les insurgés ont d’ores et déjà lancé un avertissement en déconseillant aux Afghans de participer à ce processus : « ne perdez pas votre temps pour des élections qui de toutes façons seront frauduleuses » a déclaré un porte-parole du mouvement. Dans le nord-est, un camion rempli de formulaires d’enregistrement a été brûlé et dans la province de Ghazni, au sud ouest de Kaboul, c’est par hélicoptères que les bulletins ont été acheminés. Chris Alexander, numéro 2 des Nations Unies en Afghanistan (un des principaux bailleurs de l’organisation de ces élections) essaie de garder son optimisme : « il y a beaucoup d’incertitudes à la veille du début de cet exercice. Les gens n’ont une confiance absolue que ça marche. Et bien sur, il va y avoir des pertes, des attaques. Il y en a déjà eues. Il y a des cas d’intimidation. Lorsque ça frappe, ça frappe dur. Il va falloir malgré cela créer une atmosphère de confiance et que ces élections commencent à être perçues comme étant inévitables »
L’enregistrement de millions d’électeurs est la première étape d’un parcours incertain qui doit déboucher sur les présidentielles l’année prochaine. Mais les difficultés rencontrées dès aujourd’hui laissent planer le doute sur la tenue du scrutin en 2009.
Constance de Bonnaventure

24/09/2008

UN DOCUMENT REVELE LES DESSOUS DE L'EMBUSCADE DU 18 AOUT DERNIER


Plutôt qu’un rapport c’est un document secret qui a été révélé par le journaliste canadien Graeme Smith. Ce sont 4 pages de notes, illustré de cartes, servant à nourrir un rapport et marqué de la mention OTAN-ISAF secret. C’est un officier américain des services secrets qui auraient recueilli ces informations auprès de 13 soldats américains des forces spéciales qui étaient aux côtés des français lors de l’embuscade du 18 août dernier.
Ce document confirme que les soldats français étaient sous équipés lors de l’embuscade. Ils n’auraient eu que 90 minutes de munition et une seule radio pour communiquer avec le commandement, radio utilisée notamment pour demander un soutien aérien. Mais le plus surprenant c’est que ce document révèle que les soldats de l’armée afghane se sont enfuis pendant les combats. Si cette information est vraie, elle est problématique puisqu’elle met en jeu l’objectif des forces internationales en Afghanistan qui est de former une armée capable de se défendre face à l’ennemi taliban.
A l’heure où les parlementaires français doivent voter sur le maintien de l’armée française en Afghanistan, ce document relance la polémique sur les conditions de l’embuscade du 18 août dernier.

13/09/2008

Visite éclair à Kaboul pour les familles des soldats tués en Afghanistan

« Par délicatesse et par respect pour leur démarche de deuil, on ne dit pas si la journée s’est bien passé ou pas. On ne dit pas si le but recherché a été atteint. On ne peut pas s’exprimer à leur place ». Tels sont les mots du commandant de Lavessière, conseiller communication du contingent français de Kaboul. Rappelons que ce jour là, aucun journaliste n’était présent sur place selon la volonté des familles. Et par mesure de sécurité, leur emploi du temps a été gardé secret jusqu’à la dernière minute.

Ils étaient 17 à participer à ce voyage, accompagnés par le ministre de la Défense Hervé Morin. Parmi eux, les familles des soldats tués lors de l’embuscade du 18 août dernier, mais aussi celles de soldats morts en 2006 et 2007. Rappelons qu’au total ce sont 24 militaires français qui ont perdu la vie en Afghanistan depuis que la France y est présente militairement.

L’avion de la République Française a atterri vers 8h (heure locale) vendredi matin à l’aéroport militaire de Kaboul. Les familles ont ensuite rejoint en convoi la grande base française, Warehouse, qui se trouve en périphérie est de la capitale afghane. Sur place les familles ont assisté à une cérémonie œcuménique puis à une commémoration au monument aux morts. Après cela ils ont pu discuter avec le Général Stollsteiner, commandant des forces françaises à Kaboul et échanger avec quelques militaires sur place. « Chaque personne a pu poser des questions et s’exprimer. On espère que ça leur a apporté quelque chose. Mais les réponses sont peut être dérisoires par rapport aux douleurs des familles » poursuit le commandant de Lavessière. Les familles sont reparties en fin d’après-midi vers la France, pas question donc de se rendre en vallée d’Uzbin, sur les lieux de l’embuscade du 18 août dernier.

Même si ce genre de voyage avait déjà été organisé, comme en 2004 à Bouaké (Côte d’Ivoire), les militaires basés en Afghanistan ont été surpris de cette décision. « Si on commence à faire venir les familles de chaque soldat qui meurt, on n’a pas fini… » a déclaré un officier français de Kaboul tout en précisant que « si ça peut les aider à faire leur deuil et bien tant mieux ». Quoiqu’il en soit, les militaires français d’Afghanistan déplorent la surmédiatisation des récents événements et rappelle que le risque fait partie intégrante de leur mission dans ce pays.

11/09/2008

JO de Pékin...Première médaille dans l'histoire de l'Afghanistan


Dans le grand stade Ghazi de Kaboul, la musique et les applaudissements retentissent. Près de 5000 personnes attendent avec impatience l’arrivée du nouveau héros de l’Afghanistan. Rohullah Nikpai, 21 ans, a gagné la médaille d’argent de taekwondo aux Jeux Olympiques de Pékin.

Autour du stade, la sécurité a été considérablement renforcé : des centaines de policiers et de soldats sont déployés. Et toutes les rues de la capitale sont bloquées. Partout dans la ville, des posters le représentant sont affichés. Rohullah est une star, et pour cause, c’est la première fois que l’Afghanistan remporte une médaille aux Jeux Olympiques. Ecoutons le président de la fédération afghane de taekwondo Gulam Rabbani :
« D’abord je tire mon chapeau à ceux qui comme lui ont réussi ont tout donné dans un contexte difficile où l’Afghanistan n’a pas de moyens pour ce genre de préparation sportive et de compétition. Nos infrastructures sportives sont inexistantes. Et je demande vraiment comment on a réussi à gagner une médaille dans une compétition aussi importante que les Jeux Olympiques. »

A l’aéroport, c’est le vice-président Khalili en personne qui vient l’accueillir. Et c’est sur le toit d’un camion avec d’autres athlètes qu’il fait son entrée triomphante dans le stade. La foule est en liesse et des hélicoptères lâchent des tracts sur lesquels est écrit : «il a fait la fierté du peuple afghan ». Dans son discours, Rohullah Nikpai profite de son statut pour faire passer son message.
« J’ai un message pour les jeunes afghans : il faut faire du sport et persévérer. N’importe quel sport. Il faut qu’un jour les Afghans soient plus nombreux à participer aux jeux asiatiques, aux JO et aux championnats du monde pour gagner des médailles et faire honneur à notre beau drapeau !
»

En guise de récompense, Rohullah Nikpai a reçu un chèque de 4000 euros ainsi qu’une voiture offerte par un opérateur téléphonique et le président Karzai lui a promis une maison dans Kaboul. Une journée de fête et pleine d’espoir qui aura permis aux Afghans de mettre leur dur quotidien entre parenthèses.

11 septembre... 7 ans après

A Kaboul, quand on demande aux habitants ce qu’il pense de la présence militaire internationale , les langues se délient : pas d’amélioration dans leur quotidien , trop de victimes du conflit, leur situation n’a pas tellement évolué en 7 ans.
On est bien loin de l’espoir de septembre 2001, chute du régime taliban qui mettait fin à plus de 25 années de guerre. La reconstruction du pays s’était alors amorcée et le peuple afghan dans sa majorité soutenait les forces militaires internationales.

Mais aujourd’hui, les actions de l’OTAN et des Américains perdent de leur légitimité : Oussama Ben Laden, le responsable présumé des attentats du World Trade Center n’a pas été retrouvé, et le conflit s’est étendu à tout le pays. Alors que la situation afghane devient de plus en plus instable, l’OTAN renforce ses troupes.
Ajoutons à cela la polémique actuelle autour des victimes civiles. Depuis le début de l’année 2008, près de 1000 civils ont été tués dans le conflit. Et ce sont les bombardements aériens de l’OTAN qui sont montrés du doigt. Alors dans les régions du sud, celles qui souffrent le plus du conflit, la population, prise en étau entre les taliban et l’OTAN, se sent de moins en moins en sécurité.

Les Afghans ont perdu confiance en la présence internationale et petit à petit se retourne vers l’opposition talibane.

08/09/2008

Victimes civiles: la polémique enfle et l'OTAN est montré du doigt

« Les Américains ne sont pas là pour nous aider ! Ils détruisent nos maisons et tuent des innocents ! » déplore Habiboullah, jeune étudiant de la faculté de Kaboul. Comme lui, ils sont nombreux à réagir de la sorte face aux bavures des forces de l’OTAN en Afghanistan.

Le 22 août dernier près du village d'Azizabad, où les insurgés sont très présents, à quelques 120 kms d'Herat (grande ville de l'ouest afghan), un raid conjointement mené par les forces américaines et les commandos afghans a fait 90 morts parmi les civils. Un chiffre annoncé par le gouvernement afghan et aussitôt validé par les Nations Unies. De leur côté, les Américains ont exprimé leurs regrets pour "la perte de vies innocentes parmi les Afghans que nous sommes censés protéger ». Des excuses que les Afghans ont du mal à accepter: cette tragédie a provoqué un vif émoi au sein de la population afghane. De nombreuses manifestations se sont déroulées dans la province d’Hérât ainsi que dans la capitale afghane. « Mort aux Américains ! » criaient les manifestants et des villageois en colère se sont attaqués à des soldats afghans. « Les Américains affirment que des talibans se trouvaient dans la région, mais ils doivent le prouver ! De tels bombardements éloignent la population du gouvernement. Les gens sont très en colère » a exprimé Nematullah Sharani, ministre des affaires religieuses et président de la commission d’enquête.

Depuis, la polémique n’a cessé d’enfler et cet événement a fortement contribué à la dégradation des relations américano-afghanes. Au lendemain de cette bavure, le gouvernement afghan a déclaré qu’il souhaitait renégocier la présence des forces étrangères en Afghanistan, sans doute une stratégie du président Karzai pour récupérer le soutien de sa population à l’approche des élections présidentielles. Pour se démarquer des actions de l’OTAN, Hamid Karzai s’est rendu la semaine dernière sur les lieux du drame. C’est ici qu’il a déclaré devant les familles des victimes que ses relations avec les Etats-Unis s’étaient considérablement tendues. Il a par ailleurs promis que les responsables de cette opération seraient punis.
Ce n’est pas la première fois que les forces internationales sont accusées d’être responsable de la mort de civils afghans mais selon la commission présidentielle, le bombardement d’Azizabad constitue la plus grosse bavure de l’OTAN en Afghanistan. Selon la commission afghane des droits de l’homme ce sont plus de 900 civils qui depuis début 2008 sont morts dans ce conflit. La population afghane et surtout celle qui vit dans les zones de combat, développe de plus en plus un véritable sentiment de ras le bol voire de haine face à la présence militaire internationale. Le président afghan a compris que les bavures des forces internationales ont des conséquences désastreuses dans la stratégie de pacification du pays et ont pour conséquence le retournement de la population vers l’opposition talibane.

Afghanistan: le guide touristique qui fait polémique...

«Même si l’Afghanistan vit au rythme des attentats, il serait malhonnête de réduire
ce pays aux talibans, au terrorisme,à la burqa ou encore à l’opium », souligne Constance de Bonnaventure,correspondante à Kaboul du « Parisien » - « Aujourd’hui
en France », dont l’expérience et les superbes photos illustrent la première édition de ce Petit Futé consacré à l’Afghanistan*.Mais la sortie de ce guide—programmée
par l’éditeur depuis plus d’un an — au lendemain de la mort de dix soldats
français n’a pas vraiment plu au Quai d’Orsay.« Ce n’est pas de la provocation ».
« Cela neme semble pas approprié car il n’est pas raisonnable du tout d’y effectuer un voyage touristique »,s’indigne Eric Chevallier, nouveau porte-parole du ministère des Affaires étrangères, qui rappelle que l’Afghanistan est sur la « liste rouge »
des pays déconseillés aux voyageurs. « Vu les risques d’attentats et d’enlèvements,
ajoute-t-il, nous déconseillons tous les voyages, hors raisons professionnelles majeures. »

Directeur de collection du Petit Futé, Dominique Auzias ne comprend pas cette polémique et se défend: « Ce n’est pas de la provocation. Je n’incite personne à y aller… L’Afghanistan est un pays où la France est en guerre et je ne trouve pas indécent de publier un ouvrage à l’attention du plus grand nombre sur un pays où nos compatriotes risquent chaque jour leur peau.Quand on envoie nos soldats là-bas, on peut aussi raconter aux Français l’histoire, la géographie et la culture d’un pays
qui, depuis les Cavaliers de Kessel,fascine tout le monde. » Et notamment
toute une génération de Français qui furent les premiers humanitaires à s’engager au côté de la résistance afghane face aux troupes soviétiques dans les années 1980.
Au-delà de la guerre que connaît l’Afghanistan depuis près de trente ans, on découvre ici un peuple rude et fier dans des paysages à couper le souffle. Un ouvrage indispensable pour comprendre l’Afghanistan d’aujourd’hui.

Bruno Fanucchi
(*) « Afghanistan »,
de Constance de Bonnaventure,
Le Petit Futé, 288 pages, 18 euros.

07/09/2008

Après l'embuscade...Témoignage d'un soldat français

A 32 ans, le Lieutenant Ronald (son nom de famille n’est pas mentionné par raison de sécurité) dirige la section « Rouge 4 » de la 3e compagnie du Régiment de Marche du Tchad (RMT). Avec ses hommes, ils étaient dans l’embuscade du 18 août dernier qui a coûté la vie à 10 soldats français. Blessé par un éclat de balle à la jambe, c’est sur son lit d’hôpital qu’il retrace pour nous, le récit de cette journée noire pour l’armée française…

« Ce jour-là, la patrouille est partie de la base de Tora (située à proximité du village de Surobi à l’est de Kaboul). Au total, une vingtaine de véhicules militaires se suivaient. Alors que les soldats du 8e RPIMa faisaient leur reconnaissance en haut du col de la vallée d’Uzbin, ceux du RMT surveillaient le bas du col avec l’ANA (l’armée nationale afghane) ». Le 18 août dernier, près de 100 soldats français, américains et afghans participaient à cette patrouille dont l’objectif était de reconnaitre les lieux.

« Juste avant de partir vers la vallée d’Uzbin, nous avons, comme d’habitude, fait un briefing, carte à l’appui ». Deux jours avant, la zone avait été reconnue par une patrouille à pied qui s’était rendue jusqu’au village de Spir Kundi autour duquel a eu lieu l’embuscade. Et les Français étaient visiblement avertis des dangers de la vallée. « A Uzbin, on savait qu’il y avait des ennemis. Mais de toutes façons, c’est comme partout, on s’attend toujours à trouver l’ennemi ».
Les soldats français qui partent en mission en Afghanistan reçoivent une semaine de formation particulière. « En France, nous avons été préparés aux spécificités du conflit afghan et à la principale principales menace, à savoir l’IED. On a aussi assisté à des cours magistraux sur l’asymétrie de ce conflit, les aspects culturels, etc. Concernant l’embuscade, ça fait partie de notre enseignement de base».

Le 18 août vers 15h, soit deux heure et demie après avoir quitté la base de Surobi, la patrouille se fait prendre à partie par une centaine d’insurgés selon l’armée française. « On était quasiment encerclés. Et les insurgés tiraient de tous les côtés, avec précision. C’était surprenant ! Avec ma section on a commencé à tirer des missiles pour appuyer le RPIMa en haut du col ». C’est environ une heure plus tard qu’arrivent les renforts aériens. « Il était impossible de fournir un appui aérien au départ des combats, dans la mesure où l’ami était imbriqué dans le combat» précise le lieutenant Ronald. Jusqu’à 21h, les coups de feu résonnent dans la vallée, pour devenir assez sporadiques vers 1h du matin. Ils ne reprendront que le lendemain matin au lever du jour, pendant quelques minutes. « Je me suis demandé quand est ce qu’ils s’arrêteraient ! Nous on n’a pas cessé de tirer ! »

C’est le lendemain vers 13H que les français quittent les lieux. Le bilan est lourd : 10 soldats tués. « Vu l’intensité des feux c’était évident qu’il y aurait autant de morts, si ce n’est plus ! C’est un miracle qu’on s’en soit sorti !» relativise le lieutenant. « Il ne faut pas nous faire passer pour des victimes. Arrêtons d’utiliser ce mot ! Nous sommes des acteurs, pas des faibles ». Comme la plupart des autres soldats, le lieutenant Ronald a vécu sa première expérience du feu. « Oui, ça m’a effrayé de voir tant de puissance. Mais dans ces cas là il ne faut pas se poser de question. J’avais simplement peur pour mes hommes ».

Et quand on lui demande de définir l’ennemi, le lieutenant Ronald hésite… « C’est quasiment impossible de l’identifier ! C’est un villageois armé… L’ennemi est indéfinissable. Il n’a pas de type particulier, pas de costume. Même avec des moyens très perfectionnés on ne peut pas toujours l’identifier tant la géographie du pays est complexe »

Dans quelques jours maintenant, le lieutenant Ronald va rentrer chez lui, retrouver sa femme et ses trois enfants. Après 4 mois passés en Afghanistan, l’heure est au bilan… « Avec ce genre d’expérience on sait au moins si on est fait pour le métier de soldat ou pas… et on se rend compte que tout ce qu’on a appris nous sert ». Une mission qu’il n’oubliera jamais… « C’est ma meilleure mission. La plus intéressante, la plus opérationnelle et avec le plus de moyens. Ca nous a fait du bien à tous