Après 25 années de guerre, l’Afghanistan est aujourd’hui un pays en totale reconstruction. Depuis 2002, le pays essaie entre autre de retrouver sa vivacité culturelle des années 70. Mais si quelques réalisateurs afghans émergent du lot après des années de labeurs, le cinéma afghan ne s’est pas encore constitué comme référence.
Le décor était déjà là : sur un terrain ravagé par les années de guerre trônent des carcasses de tanks russes et les bâtiments portent les séquelles des bombes lâchées sur Kaboul. Afghans, Français et Iraniens travaillent ensemble. Nous sommes en Afghanistan, le tournage du prochain film de Barmak Akram, jeune réalisateur franco-afghan, touche à sa fin. Pour son premier long métrage, Kabouli Kid (L’enfant de Kaboul), Barmak Akram a choisi sa terre natale. L’histoire raconte la disparition d’un nourrisson de 3 mois, recueilli par un chauffeur de taxi. Et surtout, elle nous plonge complètement dans le Kaboul actuel. « Je voulais faire un film documentaire qui montre les dégâts de 25 années de guerre, autant par les Russes que par les Américains, un peu à la manière du néo réalisme italien. J’ai profité de ce décor abimé par la guerre pour l’enregistrer dans l’Histoire dans le cadre d’une fiction » explique ce jeune réalisateur qui espère présenter son œuvre au Festival de Berlin.
Aujourd’hui, le cinéma afghan renaît difficilement de ses cendres et essaie, tout simplement, de se constituer à proprement parler. Car si l’Afghanistan est resté plongé durant 25 années dans la guerre, la culture, pendant ce temps, s’est aussi arrêtée de vivre. Jusqu’en 1979, année de l’invasion soviétique en Afghanistan, le cinéma faisait partie intégrante de la vie culturelle des citadins afghans. A la fin des années 1970, Kaboul comptait 31 cinémas, mais les nombreux bombardements ne les ont pas épargnés, et le régime taliban entre 1996 et 2001 a ordonné la fermeture de toutes les salles.
Seulement 10 cinémas ont survécu dans tout le pays, dont 7 à Kaboul. Et même si la guerre est terminée, l’insécurité perdure et les Afghans n’ont pas repris leurs habitudes culturelles des années 70. La vie nocturne est inexistante et la télévision reste le seul loisir. « Du fait des conflits civils, la population a complètement changé. La culture est loin d’être une priorité » déplore Siddiq Barmak, réalisateur et producteur afghan le plus reconnu. Aujourd’hui les cinémas ne sont pas très bien famés et les femmes ne s’y rendent jamais. Les films projetés à l’écran sont essentiellement indiens ou iraniens. « En allant au cinéma, les Afghans veulent rire, écouter de jolies musiques indiennes. Avant tout découvrir un autre visage de la vie et passer au-delà de leur réalité » poursuit Siddiq Barmak.
Depuis 6 ans, chute du régime taliban, des efforts ont pourtant été entrepris pour promouvoir les réalisations cinématographiques afghanes. Mais le problème majeur reste les financements, et la culture n’est pas une priorité dans les programmes de reconstruction. Pour le moment, seuls quelques réalisateurs ont réussi à sortir du lot. Les autres réalisent des courts métrages. « Les bons réalisateurs vivent en dehors de l’Afghanistan. C’est une tragédie, car l’Afghanistan n’a pas assez d’argent pour les aider » déplore Monsieur Latif, directeur d’Afghan Film, la société de cinématographie nationale. Rares sont ceux qui, comme Barmak Akram ou Siddiq Barmak, ont pu produire un long métrage. Car pour en arriver là, il fallu contourner bon nombre d’embûches. A commencer par trouver des financements. « C’est très difficile de financer un film afghan. Tout le monde a peur de mettre de l’argent en Afghanistan, c’est une prise de risque énorme» explique Philippe Gautier, le producteur français de Kabouli Kid.
Vient ensuite le problème de la main d’œuvre sur place. Trouver des gens qualifiés et composer avec ce que le pays peut offrir. « Les gens qui travaillent ici dans le cinéma ne sont pas de formation académique, ils ont simplement un peu d’expérience. Du coup la qualité n’est pas terrible » explique Monsieur Latif. A l’université de Kaboul, un département cinéma et théâtre accueille chaque année une petite centaine d’étudiants. Mais cette formation toute récente n’a pas encore porté ses fruits. « Je crois qu’il y a beaucoup de jeunes qui ont envie de faire du cinéma, et ça c’est très encourageant. Malheureusement ils ont du mal à trouver de l’argent.» déplore Philippe Gautier.
Car ici, il n’y a pas vraiment de structure établie pour faciliter l’industrie du cinéma. Chacun fait comme il peut. Siddiq Barmak tout comme Barmak Akram ont alors fait appel à des équipes internationales pour leurs films mais préfèrent quand ils le peuvent travailler avec des Afghans « Ici, les problèmes majeurs tiennent de l’incompréhension de certaines notions. Etablir un programme, avoir une journée équilibrée par exemple. L’insécurité fait aussi que beaucoup de choses prévues tombent à l’eau. Tout est fragile. Il a fallu se battre tous les jours pour que le tournage se fasse en temps et en heure » raconte Philippe Gautier.
Siddiq Barmak qui a déjà réalisé Oussama en 2003 (sacré meilleur film étranger de l’année aux Golden Globes) termine son second long métrage, Opium War, qui raconte les péripéties de deux soldats russes égarés en Afghanistan et qui découvrent un tank habité par une famille afghane. Le film sera présenté au prochain festival de Cannes. Pour lui, on ne peut pas parler d’un cinéma afghan « Il y a si peu de productions. Dans toute l’histoire de notre cinéma, on en compte une quarantaine». Avis partagé par son homologue Barmak Akram, « On ne peut pas dire qu’il y ait de cinéma afghan. On sort de la guerre et la culture n’a pas encore une place très importante, même si c’est ce dont auraient besoin les afghans : avoir une identité culturelle, se projeter dans des fictions, exprimer leurs douleurs dans des fictions, leur mal être, etc ».
L’envie et la volonté d’une nouvelle génération redonneront sans aucun doute de la vitalité au cinéma afghan, qui a, lui aussi, souffert de la guerre. Pour beaucoup de réalisateurs, il est incontournable que le thème de la guerre continuera longtemps à marquer les productions afghanes. Un peu à la manière du cinéma d’après-guerre en Europe, les 25 années de conflit en Afghanistan vont probablement nourrir beaucoup de scénarii.
Qui êtes-vous ?
- Constance de Bonnaventure
- Jerusalem, Israel
- Journaliste indépendante, je suis installée à Jérusalem depuis septembre 2009, après avoir vécu à Kaboul (Afghanistan)de janvier 2007 à décembre 2008. Lors de ces deux années, j'ai couvert pour plusieurs media, l'actualité afghane. Presse écrite, radio ou encore télé, j'ai multiplié les collaborations en radio et presse écrite. Correspondante de RFI, RTL, Radio Vatican, France Info, France Inter, France Culture et I télé, Le Parisien, L'Equipe Magazine, Le Figaro, Figaro Magazine, CB News, La Nouvelle République. Rentrée pour quelques mois en France, j'ai effectué quelques CDD chez RFI avant de repartir m'installer à l'étranger.
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