Ravagée par la guerre, minée par le régime des talibans et la chasse aux terroristes, l’Afghanistan n’en reste pas moins un pays en reconstruction dans lequel les capitaux étrangers afflux de plus en plus. De fait, la publicité, certes encore à l’état embryonnaire, y connaît un succès croissant sous l’impulsion d’agences créées pour la plupart par des expatriés français.
Plaine de Chamali, à une heure en voiture de Kaboul. Une équipe de tournage s’installe dans un petit village. Sur le terrain, le réalisateur, pakistanais, un directeur artistique et une chef de pub français tournent une séquence de la nouvelle publicité Roshan, le premier opérateur téléphonique afghan. Le cadre est surréaliste mais pourtant bien là : des montagnes ocres en arrière-plan, des maisons de terre encadrant le "plateau", quelques vaches et chèvres qui broutent paisiblement à quelques mètres de là. Les villageois sont tous au rendez-vous pour cet événement. C’est sans doute la première fois qu’ils assistent, chez eux, à un tel déballage de modernité. Le pitch : un père et une mère se réjouissent devant leur mobile, leur fils vient de leur envoyer de l’argent par téléphone grâce au service de mobile banking désormais proposé par Roshan en Afghanistan. C’est Altai la première agence de communication et de consulting du pays, créée par trois Français, qui est en charge du projet.
L’Afghanistan terre de publicité, forcément, à première vue cela surprend. Disons que ce n’est pas le premier mot qui vient à l’esprit quand on pense à ce pays miné par la guerre, le terrorisme, l’extrémisme religieux, la drogue… Et pourtant. Kaboul est aujourd’hui une ville qui tend vers la modernité : les chantiers surgissent un peu partout, de grands immeubles sortent de terre et, symbole fort du renouveau économique, de plus en plus de panneaux publicitaires font leur apparition sur les boulevards. Loin de standards de nos riches cités (JC Decaux ou Clear Channel ne sont pas implanté là-bas), ceux-ci sont généralement implantés de façon quelque peu anarchique, certaines affiches ressemblant davantage à de simples posters collés à la va vite sur les murs. Mais les annonceurs qui se les offrent n’ont rien de fictif. Coca-Cola, Nestlé et Western Union sont aujourd’hui présents dans le pays, leur présence s’inscrivant même au-delà de la capitale. Il n’est pas rare en effet de croiser une de leur pub dans les rues de villages des provinces les plus reculées du pays.
Cet éveil du pays à la publicité et très récent. Il y a encore 5 ans, la population afghane n’avait aucune notion de ce que pouvait être la publicité. En 25 années de guerre, entre l’occupation soviétique et le joug du régime taliban, les Afghans n’ont en effet connu que la propagande communiste ou islamiste, quand ils ne subissaient pas l’absence totale de représentations imagées.
L’ouverture à l’univers de la communication coïncide avec l’effondrement du régime taliban en 2001. A partir de cette date, de nombreuses organisations internationales viennent s’installer dans le pays et les investisseurs privés affluent. La reconstruction du pays passe non seulement par les ONG, mais aussi par l’implantation d’entreprises désireuses d’apporter un nouvel élan à l’économique afghane. C’est dans ce contexte, en août 2003, que Rodolphe Baudeau, Eric Davin et Emmanuel de Dinechin, jeunes trentenaires diplômés de grandes écoles de commerce en France (HEC et ESSEC), créent leur agence, baptisée Altai. Celle-ci est actuellement la première sur le marché, avec un chiffre d’affaire de 5,5 M$. Un marché qu’elle partage avec trois autres structures : Sayara (également créée par 3 Français), Lapis et Ceetena.
Les 3 associés sont présents à Kaboul depuis 2002, période durant laquelle ils travaillaient pour une ONG media. Très vite, ils profitent de l’arrivée des investisseurs étrangers pour saisir le créneau de la publicité et du consulting, faisant ainsi un saut dans l’inconnu. « Partir de rien, c’est fascinant et c’était surtout pour nous un véritable challenge. Car en matière de communication, tout est à construire dans ce pays » confient-ils.
A l’époque, 4 expatriés et 6 Afghans travaillent ensemble dans un petit local non chauffé. Mais la demande est là : ONG et institutions internationales, comme les divers bureaux des Nations Unies, ont besoin de communiquer très rapidement avec la population afghane. C’est par ce premier biais que les afghans découvrent la publicité. L’UNICEF devient à ce moment le premier gros client d’Altai Communication en lui confiant des campagnes de santé publique (promotion de la scolarité des filles, insertion des handicapés dans la société afghane…). En 2003, l’essentiel de la publicité en Afghanistan relève d’ailleurs de la communication publique. Mais très vite, Altai décroche le contrat exclusif pour la communication de Roshan, le 1er opérateur téléphonique du pays. Aujourd’hui, ce client constitue près de 80% de son activité. Et depuis 2004, grâce à l’entremise du Pdg de Roshan, Altai est affiliée au réseau JWT. Parmi les quatre « véritables » agences qui se partagent actuellement le marché de la communication en Afghanistan, Altai est néanmoins la seule à travailler majoritairement pour des clients privés tels que Nestlé, Virgin et Western Union, qui côtoient les budgets de l’Unicef et du ministère de la santé en communication publique.
Au fil du temps, Altai-JWT a réussit à convaincre des publicitaires d’agences reconnues de la rejoindre (Ogilvy, Fullsix, Overnet). Aujourd’hui, plus de 170 personnes sont salariées dans l’agence, dont 30 expatriés qui sont essentiellement des Français âgés de 21 à 35 ans, dont le rôle est aussi de former les afghans à leurs métiers. Pour Emmanuel de Dinechin, « si Altai attire autant d’expatriés, c’est qu’ils sont tentés par l’aventure et par l’impact énorme que la publicité provoque sur la population ». Constance Capy, 28 ans, directrice générale adjointe, est arrivée à Kaboul il y a plus d’un an après une expérience de 3 ans chez Ogilvy à Paris. « Ici, j’ai davantage de responsabilités. J’apprends énormément en terme de management et ma position me fait découvrir des fonctions transversales (finance, RH, etc.) que je n’assumais pas en France. Il y a beaucoup moins de formalités, plus d’autonomie, de dynamisme, de challenge à relever. Et surtout, la satisfaction de former des personnes dans un pays où le système d’éducation est faible. Voir progresser les afghans reste ce qu’il y a de plus gratifiant ».
En Afghanistan, l’image est bien entendu nettement moins exploitée que chez nous. Il n’existe ni cinéma ni magazines. Kaboul est une ville sans ornementations, sans couleurs, où la poussière est partout. « Finalement c’est peut être dans la publicité qu’on trouve le plus de représentations imagées» déclare Gaëlle Richard, diplômée des Arts Décoratifs et directrice artistique d’Altai. Etre publicitaire à Kaboul, c’est comprendre et se plier à la culture complexe d’un pays composé d’une quinzaine d’ethnies dont les codes sont diamétralement opposés au modèle occidentale. « Le second degré, l’ironie ou l’humour sont proscris. Ici, seul le premier degré est intelligible. Dans certaines régions il est par ailleurs inconcevable de représenter une femme non voilée ou un homme rasé » poursuit Gaëlle Richard.
Si le travail des créatifs est similaire à celui que l’on connaît dans nos agenecs, ces derniers se doivent cependant d’être polyvalents et capables de réaliser des publicités sur tous les supports (print, audio, vidéo). « Nous devons prendre en compte beaucoup de paramètres qui limitent parfois notre champ de créativité» explique Charles-Henri Putz, autre DA de l’agence. Le secret repose sur la simplicité des messages. « Il est difficile d’innover artistiquement dans un pays comme celui-ci où il n’y a, à la base, aucun historique visuel. Les références ne s’imposent pas d’elles mêmes, il faut les inventer» ajoute Gaëlle Richard. A cela s’ajoute le fort taux d’illettrisme de la population afghane (75%) qui oblige les agences à concevoir des messages "portés" par le visuel. Pour optimiser la portée du message, chaque campagne est d’ailleurs conçue dans les deux langues officielles du pays : le dari et le pachtou (dialecte du sud).
Mais si la culture publicitaire des afghans est nulle, cela ne les empêche pas d’apprécier la publicité. Il est fréquent de voir un passant s’arrêter devant un panneau publicitaire et de le photographier. «Pour eux, c’est un loisir. Il n’y a pas cet effet de lassitude de la population qu’on peut trouver en Occident. Il y a une véritable attente» analyse Emmanuel de Dinechin. Pour coller au plus près aux évolutions des modes de vie des afghans, Altai mise aussi beaucoup sur les études. Pré et post tests, focus groupes, sondages…Tous les outils sont sollicités. « Nous avons beaucoup investi dans ce secteur car nous souhaitons fournir à l’Afghanistan des services identiques aux standards internationaux » explique Rodolphe Baudeau.
Si le secteur de la publicité est aujourd’hui en pleine expansion (+30% de 2006 à 2007), le pays le doit à la conjonction de plusieurs facteurs : L’afflux d’investisseurs étrangers provoque une réelle croissance économique ; La concurrence stimule les agences existantes, rend les clients plus exigeants et permet de réaliser des campagnes plus fines et mieux pensées.
« L’Afghanistan est parti du néant total à l’un des marchés publicitaires les plus dynamiques du monde » s’emballe même Emmanuel de Dinechin. Le paysage médiatique aussi est en constante évolution. L’offre est de plus en plus abondante - 60 radios quand il n’en existait qu’une seule radio sous les talibans (Radio Charia) et 30 chaînes de télé, les plus connues étant Tolo TV et Ariana TV -, et l’électricité commence tout juste à être à la portée de chaque foyer dans les villes, offrant ainsi à la population un accès au contenu audiovisuel indispensable pour faire prospérer la pub dans le pays. « On est passé d’un bon de l’âge de pierre de la pub aux réclames des années 60. C’est un grand pas pour ce pays » explique Constance Capy, qui tempère néanmoins l’état des lieux trop idyllique que certains seraient tentés de dresser sur ce marché : « La créativité publicitaire ne s’exprimera réellement en Afghanistan que lorsque tous les Afghans auront appris à lire, ou que tous seront branchés sur le câble. Ce qui, ne nous en cachons pas, n’est pas pour tout de suite... » .
Constance de Bonnaventure
3 commentaires:
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